L'article 226-14 du code pénal

L’article 226-14 du code pénal (intègre les modifications de la loi du 30 juillet 2020)

« L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :

1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;

2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ;

3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l'article 132-80 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n'est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ;)

4° Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une.

5° Au vétérinaire qui porte à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, à un acte de cruauté ou à une atteinte sexuelle sur un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-1 et toute information relative à des mauvais traitements sur un animal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel. Cette information ne lève pas l'obligation du vétérinaire sanitaire prévue à l'article L. 203-6 du code rural et de la pêche maritime.

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. » Article 226-14 du code pénal

 

Commentaires sur l'article 226-14 du code pénal

- L'article 226-14 précise dans quels cas et sous quelles conditions, un professionnel transmettant une information à caractère secret à une autorité sera exempté de la peine prévue par l'article 226-13 du code pénal.

- Il ne "lève pas le secret" mais empêche la sanction en cas de révélation sous certaines conditions. 

- Il donne donc l'autorisation de révéler certaines informations à une autorité sans pour autant obliger le professionnel à le faire. Il donne donc aussi l'autorisation de ne pas informer une autorité. Le professionnel reste libre de son choix de dire ou pas.

- Le professionnel doit, dans les cas où il pense qu'il y a risque de danger ou danger, agir. L'article 226-14, par le fait qu'il autorise mais n'oblige pas à révéler, vient proposer une possibilité parmi toutes les actions possibles pour le professionnel.

- Les premiers cas dans lesquels le professionnel peut dire à une autorité administrative, judiciaire ou médicale sont : quand les personnes vulnérables du fait de leur âge (mineurs) ou d'une incapacité physique ou psychique (majeurs protégés, femmes enceintes, certaines personnes handicapées mentales, voire des personnes se trouvant dans un état qui fait qu'il est évalué de façon objective qu'elles ne disposent temporairement plus de leurs capacités à se protéger) et qui sont victimes de privations ou de sévices. (226-14 alinéa 1er) . 

- Le deuxième alinéa de l'article concerne les médecins mais aussi tous les professionnels de santé. Il convient de noter que l'accord de la victime majeure et non-vulnérable est ici nécessaire, alors qu'il ne l'est pas à l'alinéa 1er. Concernant les mineurs, la loi du 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de situations de maltraitance par les professionnels de santé a ajouté à la possible saisine du Procureur de la République une possibilité de saisir la cellule départementale de recueil des informations préoccupantes. Le professionnel de santé a donc l'autorisation (mais pas l'obligation) de saisir l'une des deux autorités selon ce qu'il jugera le plus pertinent.   

- Le troisième alinéa est une création de la Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Comme l’alinéa 2, il concerne les seuls professionnels de santé et autorise un signalement au Procureur de la République de situations relevant exclusivement de violences conjugales (l'infraction est commise par le conjoint ou ex, le concubin ou ex ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ou ex, y compris lorsqu'ils ne cohabitent pas). MAIS, et c’est important car c’est l’élément nouveau, cet alinéa autorise ce signalement CONTRE l’accord de la victime majeure après que celui-ci devra avoir été recherché.  Toutefois, le professionnel doit « estimer en conscience » que deux conditions cumulatives sont réunies pour s’autoriser à passer outre le désaccord de la victime majeure :   que sa vie soit en danger immédiat et que cette personne  ne soit « pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences ». Ces deux conditions cumulatives sont discutées ci-après.

- « Vie en danger immédiat » : l’examen des débats parlementaires montre que cette expression correspond dans les faits à une situation de péril pour laquelle il y a déjà obligation d’agir (le signalement pouvant être une des formes de l’action). (voir 223-6 du code pénal et J’ai connaissance d’une personne en danger ou mettant  autrui en danger…).

- « emprise exercée par l’auteur des violences » : la notion d’emprise est particulièrement difficile à cerner tant elle revêt de degrés (1). De l’existence de questions de la part du conjoint sur les activités de sa partenaire jusqu’au contrôle coercitif permanent, l’emprise est décrite comme s’installant progressivement. Il faudra donc pour le professionnel, pour peu qu'il y soit formé, évaluer comment cette emprise se formalise et à quel moment elle est la cause  de l’incapacité de se protéger de la personne. Le « en raison » dans l’alinéa signifie bien un lien de causalité.

- En résumé : seuls les cas les plus extrêmes où la personne majeure est en situation de péril, sans moyen aucun d’assurer sa propre protection et que son accord est considéré comme sans valeur du fait de son état psychique autoriseront (pas de caractère obligatoire) l’utilisation d’une telle possibilité de signalement. A pondérer cependant par le risque que la personne, obligatoirement informée par le professionnel de l’existence de ce signalement, rompe la relation avec le professionnel de santé et invalide ses propres propos devant les enquêteurs qui interviendront par la suite.

- Sur les évolutions de 2015 et 2020 de la loi, voir nos différentes analyses (liens en bas de page)

- Le quatrième alinéa concerne un cas de figure particulier et, disons le, très rarement utilisé car peu applicable. Il faut souligner que ce texte ne concerne que les personnes qui nous consultent, pas celles dont nous parlent les usagers. Concernant cet alinéa, nous invitons les professionnels à s'appuyer sur l'obligation d'assistance à personne en péril pour agir si besoin (voir 223-6 du code pénal et J’ai connaissance d’une personne en danger ou mettant  autrui en danger…). Les critères du péril nous paraissent bien plus opérants pour agir en provoquant les secours adaptés lorsque cela s'avère objectivement nécessaire. Et ces critères évitent la multiplication des « signalements-parapluie » qui n'auraient comme effet que de mettre un peu plus de distance entre des usagers en difficulté et les professionnels du social, au risque d'une dégradation de la situation dangereuse pour ces personnes et pour la société. Dans le cas contraire, cet alinéa concernant toutes les catégories d'arme, y compris par destination, sans distinction de catégories (dont les armes blanches qui remplissent quelques tiroirs dans les cuisines...), nous pourrions signaler toute inquiétude sur la possible dangerosité de bien des personnes, quand bien même elle serait très improbable …

- Sur le cinquième alinéa, vous trouverez une analyse dans l'article signé par Christophe DAADOUCH sur notre site, intitulé Levée du secret professionnel et maltraitance animale.

- La dernière phrase de l'article 226-14 est importante. Elle a été modifiée par la loi du 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de situations de maltraitance par les professionnels de santé : elle exempte de toute possibilité de sanction par son employeur ou poursuites sur le plan civil ou pénal contre celui qui a agit conformément à ce que prévoit cet article (respect des publics concernés et des événements vécues par eux).

- Cette phrase permet que des situations de maltraitance au sein d'établissements puissent être révélées sans risque pour son auteur, mais protège aussi contre toute poursuite de la part d'un parent mécontent qu'il y ait eu signalement.

- Elle permet aussi à un professionnel possédant des éléments correspondant objectivement aux cas prévus par cet article pour informer une autorité, qui analyse comme seule pertinente la saisine de l'autorité mais qui se voit opposer un refus par son encadrement technique et ou hiérarchique, de le faire sans risque de sanction. En protection de l'enfance, cela peut être le cas dans certains institutions, où la remontée d'une information vers le conseil départemental, ou de celui-ci vers l'autorité judiciaire, est bloquée.

- Cependant, en cas de désaccord sur la transmission à une autorité, il convient de bien évaluer les ressorts et conséquences de cette transmission : choisit-on cette transmission pour « se couvrir » ou pour améliorer la situation ? Les effets sur la possibilité d'action auprès de l'enfant et de son système familial contribueront-ils à réduire les possibilités d'aide, à les maintenir ou à les renforcer ?

- Cependant, le professionnel qui fait un signalement doit agir "de bonne foi". Il ne peut le faire pour des raisons telles la simple volonté de nuire à une famille, de vouloir s'opposer à sa hiérarchie.    

Au final, l'article 226-14 du code pénal rappelle que la révélation d'une information à une autorité n'est pas obligatoire mais autorisée : elle renvoie donc à une évaluation, un positionnement professionnel et à un choix éthique

 

Laurent Puech

(1) Les premiers travaux contemporains sont de WALKER Lenore., The battered Woman, New York, Harper and Row, 1979. Pour la France voir VOUCHE J.P., De l'emprise à la résilience. Les traitements psychologiques des violences conjugales : auteurs, victimes et enfants exposés, Fabert, 2009. HIRIGOYEN M.F, Femmes sous emprise : les ressorts de la violence dans le couple, Oh ! Editions, 2005.

Pour aller plus loin

Sur la modification de novembre 2015

    Voir l'analyse de Christophe DAADOUCH de la modification issue de la loi du 5 novembre 2015

    Voir l'analyse du projet de loi proposée par Antoine GUILLET en avril 2015

Sur la modification de juillet 2020

    Voir Rapport de l’Inspection Générale de la Justice, Secret « médical » et violence dans le couple : une recommandation construite sur du vide (4 décembre 2019)

    Voir Interview de Laurent Puech sur la levée du secret professionnel en cas de violences conjugales (30 juillet 2020)

    Voir Nier toute modification du secret professionnel... même contre l'évidence (16 août 2020)