Erreurs autour du secret professionnel

 

Les informations sur le secret professionnel et le partage d'informations ne manquent pas sur le net. Pourtant, certaines sources pourtant censées être "de bon conseil" peuvent afficher d'étonnantes erreurs, qui vont diffuser une information fausse. Nous les listerons régulièrement sur cette page.

Ajouté le 26/10/2014 - « Enfance et Partage » publie un guide juridique comportant de fausses informations en matière de secret professionnel

Comme nous avons pu le voir avec le site internet « service-public.fr » (voir plus bas l'ajout du 19/10/2014), certains acteurs pouvant apparaître comme fiables publient et diffusent des informations et des analyses fausses en matière de secret professionnel.

C’est aujourd’hui le cas d’un guide juridique, dans son chapitre « secret professionnel », publié le 16 octobre 2014 par l’association « Enfance et Partage » destiné à guider les professionnels pour « agir contre la maltraitance ».  Avant d’en proposer un décryptage, nous précisons en préambule ce que la teneur de ce document risque de provoquer : une confusion chez les professionnels, pas forcément favorable aux enfants qui sont en danger.

Préambule

Les erreurs contenues dans ce guide sont particulièrement étonnantes :

- Elles omettent des parties d’articles de loi pourtant essentiels.

- Elles tendent à « relire » le droit en défaisant le secret professionnel  tel qu’il est pourtant bel et bien prévu par le droit : les « possibilités » de révélation prévues pour les professionnels soumis au secret deviennent systématiquement des « obligations ».

- Ainsi, elles peuvent induire en erreur les professionnels, proposant au mépris de la législation, une version inexacte du cadre légal du secret, tel qu’il est décrypté par les juristes spécialistes du secret professionnel en protection de l’enfance.

- Cette relecture est d’autant plus malheureuse qu’il n’est nulle part fait mention dans ce guide du véritable cas d’obligation obligeant à provoquer un secours : celui de l’assistance à personne en péril. Cette situation dans laquelle peut se trouver un mineur doit être particulièrement claire pour les professionnels. (cf notre fiche  http://www.secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-situation-urgente/peril-danger )

Nous tenons à rappeler que lorsque la révélation à une autorité administrative ou judiciaire est un acte évalué par les professionnels comme contribuant réellement à la protection de l’enfant, les professionnels utilisent les autorisations de le faire offertes par la loi. Précisons aussi que dans certains cas, cette obligation aurait pour effet de limiter encore plus la révélation de situations de danger aux professionnels :

- une mère qui veut parler de la violence du père sur leurs enfants mais craint les conséquences de la révélation et les retombées pour sa famille, ce n’est pas une situation rare. Faut-il qu’elle se mure dans le silence ou doit-elle pouvoir en parler avec un professionnel qui prendra le temps d’avancer avec elle pour favoriser la protection des enfants ?

- si cette même mère a un enfant blessé par ce père, doit-elle le garder et ne pas le faire soigner car il y aurait forcément un signalement ?

Vouloir supprimer le secret de façon systématique, c’est renforcer le risque de silence dans les familles : un silence qui peut être dangereux pour les enfants. La loi permet un équilibre entre secret et révélation.

Pour être pertinents et efficaces, les professionnels ont besoin de connaissances solides. Enfance et Partage a au minimum, c’est notre première hypothèse, produit un document qui, en cherchant à être synthétique, en est devenu erroné. Deuxième hypothèse, Enfance et Partage peut penser que le signalement doit être le choix privilégié par les professionnels dans les possibilités offertes par la loi. Cette association peut affirmer cette position qui relève d’un choix moral et y inviter les professionnels. Mais elle ne peut dire que cette vision morale de ce qu’il est bon de faire, quelle que soit la situation, est ce que prescrit le droit quand ce n’est pas le cas.

Décryptage

Nous allons reprendre les passages de ce guide (en italique) puis les commenter en rectifiant les affirmations en question : 

1) « Une information à caractère secret est une information qui, soit a été donnée comme étant confidentielle ou touchant la vie privée (santé, histoire, domicile, vie familiale, vie affective...), soit a été comprise, vue ou déduite par le professionnel dans l’exercice de sa profession. Toutes les informations reçues ne sont donc pas soumises au secret professionnel. »(p.18).

                => La jurisprudence  définie les informations à caractère secret comme  les éléments de vie privée connus ou appris, mais également compris ou devinés à l’occasion de l’exercice de la profession. Ajoutons que ce n’est pas le caractère confidentiel ou non donné par la personne à une information qui la rend secrète pas plus que son souhait de la maintenir secrète. C’est la nature de l’information et le fait qu’elle soit confiée à un professionnel soumis au secret. Enfin, les informations à caractère secret ne se limitent pas à la sphère « intime » mais recouvre l’ensemble des informations dont le professionnel a connaissance et relevant de la sphère privée, soit ne relevant pas de la sphère publique. (cf. fiche « les informations couvertes par le secret professionnel » http://www.secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-par-theme/information-couverte).

 

2) « D’une manière générale, tous les fonctionnaires sont soumis au secret professionnel, dont les enseignants »(p.18) 

              => Cette idée fausse que tous les fonctionnaires seraient soumis au secret est malheureusement assez répandue. Ceci s’explique notamment du fait de l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983 : « les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées par le Code Pénal. ». Cela signifie donc que les fonctionnaires sont soumis au secret selon leur profession, leur mission ou une fonction donnée. En l’occurrence, les enseignants ne sont pas soumis au secret comme une grande partie des fonctionnaires. Par contre, l’ensemble des agents de la fonction publique sont soumis à un devoir de discrétion professionnelle (cf. fiche « secret professionnel et fonctionnaires » http://www.secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-par-theme/fonctionnaires-et-secret )

  

3) « L’article 434-3 du code pénal sanctionne la non dénonciation des mauvais traitements ou des atteintes sexuelles infligées à un mineur de 15 ans. Le monde de l’éducation est particulièrement sensible à ces dispositions qui ont été renforcées par la loi du 17 juin 1998 et qui ont fait l’objet de la circulaire Ségolène Royal sur le signalement. En conséquence, les professionnels sont tenus de révéler les atteintes aux personnes dont ils ont connaissance. C’est le cas de tous les personnels de l’Education Nationale. »

                => Ce passage entretient une confusion en évoquant les professionnels de l’éducation nationale qui ne sont pas tous soumis au secret puis « tous les professionnels ». S’agissant de l’article 434-3 du Code Pénal, le fait pour un professionnel d’être soumis au secret ou non est déterminant. En effet, la dernière partie de l’article 434-3, non-mentionnée dans ce guide, dispose que « sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précédent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ».

Cela signifie donc que les professionnels soumis au secret n’ont pas l’obligation de dénoncer les mauvais traitements ou atteintes sexuelles infligées à un mineur de moins de 15 ans, contrairement aux autres, mais en ont la possibilité dans le cadre de l’article 226-14 du Code pénal. (cf. fiche sur l’article 434-3 du code pénal/rubrique législation commentée http://www.secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-legislation-commentee/code-penal/article-434-3 )

 

4) « L’article 434-1 du code pénal punit quiconque, ayant eu connaissance d’un crime dont il est possible de prévenir ou de limiter les effets ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, n’en a pas informé les autorités judiciaires ou administratives. Ce qui signifie que tout professionnel tenu au secret professionnel de l’article 226-13 est également tenu par cette obligation de dénoncer un crime contre un mineur de 15 ans. »

                => L’analyse de ce guide juridique est erronée concernant cet article 434-1 du Code Pénal. En effet, dans sa dernière phrase encore une fois non-mentionnée dans le guide,  l’article 434-1 spécifie que les professionnels soumis au secret sont exclus de cette obligation d’informer les autorités judiciaires ou administratives. Par contre, ils y sont autorisés, après évaluation de la situation, dans le cadre de l’article 226-14 du Code Pénal et ont une obligation d’agir dans les situations de personnes en péril, tel que défini par l’article 223-6 du Code Pénal. (cf. fiche « assistance à personne en péril » et fiche sur l’article 434-1 / rubrique législation commentée http://www.secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-legislation-commentee/code-penal/article-434-1 )

 

Antoine Guillet et Laurent Puech

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Ajouté le 19/10/2014 - Plusieurs erreurs sur Service-Public.fr

"Service-Public.fr, le site officiel de l'administration française", est un site de référence pour des nombreux citoyens. Néanmoins, les informations qui y sont données peuvent être érronées. C'est en tout cas vérifiable sur la page consacrée aux Obligations d'un agent de la fonction publique. Dans la partie consacrée à la question du secret professionnel, l'auteur du texte tente une synthèse impossible sur plusieurs situations jusqu'à se perdre dans la qualité et la justesse des réponses. Il y aurait plusieurs points à analyser dans ce texte. Par exemple l'introduction qui incite à penser que tout agent de la fonction publique est soumis au secret professionnel. Position discutable et dicutée que nous développons dans notre fiche Secret professionnel et fonctionnaires. Nous reprenons ici seulement deux erreurs importantes figurant dans la partie Dérogations, qui peuvent exposer le lecteur à des poursuites judiciaires pour la première et brouiller sa compréhension du secret et de ce qu'il est possible de dire pour la seconde.

 

Erreur 1

"Dérogations

Le secret professionnel peut être levé sur autorisation de la personne concernée par l'information. (...)"

Faux : Comme le rappellent Jean Pierre ROSENCZVEIG et Pierre VERDIER, 2011, pages 29 et 30, le professionnel tenu au secret n'est pas justifié en droit à divulguer une information du seul fait de l'autorisation donnée par la personne. Il faut que cette divulgation se fasse dans un cadre où la loi l'autorise ou y oblige. Comme il est rappelé dans la fiche Les fondements du secret professionnel, celui-ci est d'ordre public. 

 

Erreur 2

(...) La levée du secret professionnel est obligatoire lorsqu'elle concourt à assurer :

  • la protection des personnes (révélation de maltraitances, par exemple),

  • la préservation de la santé publique (révélation de maladies nécessitant une surveillance, par exemple),

  • la préservation de l'ordre public (dénonciation de crimes ou de délits) et le bon déroulement des procédures de justice (témoignages en justice, par exemple)."

Reprenons les trois exemples.

Le premier est faux car la révélation de maltraitance est un cas d'autorisation de levée du secret mais pas d'obligation (voir notre analyse de l'article 226-14 du code pénal). Pour qu'il y ait obligation, il faut qu'il y ait péril

Le deuxième est trop imprécis car il ne dit pas quels agents et quelles maladies sont concernés : c'est quoi une "maladie nécéssitant une surveillance" ? En fait, comme le prévoient les articles L11 et L12 du code de la santé publique, certaines maladies particulièrement contagieuses doivent être transmises à l'autorité sanitaire par les seuls médecins et laboratoires d'analyse privés ou publics. Cela ne concerne pas tous les agents de la fonction publique, loin s'en faut.

Le troisième une fois de plus trop rapide. Pour ce qui est de la dénonciation de crimes ou délits, elle est une lecture contestable et contestée de l'article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale que nous analysons sur ce site. Pour ce qui est du "bon déroulement des procédures de justice", nous montrons aussi sur ce site en quoi la question du témoignage n'est en rien obligatoire pour les professionnels soumis au secret. Mais se présenter à une convocation est bien obligatoire.

Nous adresserons évidemment ces remarques aux rédacteurs du site Service-Public.fr afin qu'ils puissent améliorer l'information de leurs lecteurs.

 

 

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